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Quand j'ose m'arrêter et soulever le voile

Mes journées sont bien remplies extérieurement. Je n’ai pas une minute à moi. J’enchaîne des activités et des interactions dont la plupart me font plaisir, des tâches que j’ai choisies, des choses que j’ai envie de faire: écrire, lire, préparer un stage, chercher un lieu de stage autour d’un café avec ma collègue thérapeute, passer deux heures avec un ami docteur en psychologie dont la vision de l’humain me passionne et me touche, passer deux heures à servir des repas bénévolement à des personnes dans le besoin puis encore une heure à discuter avec d’autres bénévoles autour d’un projet d’accompagnement thérapeutique de ces personnes, méditer avec un groupe de femmes qui m’inspirent, jouer à des jeux de société que j’adore avec ma fille que j’adore, accompagner une personne en Focusing, être accompagnée en Focusing, me former en Wholebody Focusing, parler politique avec ma mère, préparer mes interventions au séminaire Focusing de juillet, aider une amie à détruire une cabane sur son terrain puis enchaîner avec un barbec’, randonner seule, randonner avec ma fille ou avec une amie en explorant nos façons de vivre la vie, boire une bière avec un ami et enchaîner avec une p’tite séance de sauna, découvrir des femmes incroyables lors d’une réunion d’entrepreneuses et apprendre à pitcher, démonter l’Education Nationale autour d’un café au soleil avec une ancienne collègue prof, siroter mon café avec un bouquin passionnant en tailleur sur mon canap’ savourant la douceur du plaid sur mes jambes nues, voir le sourire de mes petits élèves en anglais lorsqu’ils réalisent ce dont ils sont capables, écouter un morceau de country qui me fait frissonner des pieds à la tête,… mon quotidien est rempli de tant de doux moments.

Et pourtant…

A l’instant où il n’y a plus rien, rien que le silence, même si une minute, une heure ou un jour avant j’étais remplie d’amitié, de douceur, de rire, de vitalité, une douleur apparaît. Une douleur ? Une angoisse ? Mon plexus qui semble se tordre dans tous les sens sans trouver la position qui lui convient, sans trouver le repos. Jusqu’à aujourd’hui je l’encourageais à le trouver ce fichu repos, en mode « bon aller là, tu vas te calmer oui ? ». Et parfois je m’arrêtais et je focusais, toujours avec le projet d’être mieux, de faire cesser l’inconfort, taire la douleur, apaiser l’angoisse. Sans succès en général.

« Dans notre vie ordinaire, derrière tous nos bavardages, derrière tous les mouvements que nous faisons, derrière toutes les pensées de notre esprit, il y a une absence fondamentale de terrain solide. Nous en faisons l’expérience sous forme de peur. S’abstenir c’est la méthode dont on use pour parvenir à connaître la nature de cette agitation et de cette peur. C’est la méthode permettant de se faire à l’absence de terrain solide. Si nous nous divertissons aussi tôt en commençant à parler, à agir ou à penser – si nous ne faisons jamais aucune pause – nous ne pourrons jamais nous détendre. Dans ce sens, s’abstenir c’est une façon d’entre en amitié avec soi-même au niveau le plus profond possible. »*

Ces mots viennent me soutenir dans l’accueil de mon angoisse. Ils me disent d’encore plus rester avec. Encore plus accueillir. Encore moins vouloir que ça change. Accepter d’être avec. Et accepter de ne pas réussir à être avec. Avec ce vide de l’existence.

« Nous ne pouvons pas avoir de sol solide sous nos pieds. »*

Ces mots m’amènent du calme car ils suppriment la dureté de croire que cela devrait changer. C’est déjà beaucoup plus doux. C’est la première étape, commencer à accepter qu’il n’y a rien à changer dans mon expérience. Parfois elle est agréable et parfois désagréable, avec tous les degrés de ces deux pôles. La vie est ainsi.

Il y a je crois une deuxième étape, pour aller encore plus loin, qui nécessite la première. Encore une leçon de Pema, et de Katie Byron, et d’Eckart Tolle, et de tous les vrais méditant du monde, qu’ils se revendiquent ainsi ou non : toute souffrance vient d’une pensée. Lorsque je peux, après avoir accepter que rien n’est censé être autrement, couper l’alimentation du sentiment par la pensée, un grand espace s’ouvre en moi. Parfois ce grand espace dissout l’angoisse, parfois il ne fait que mettre de l’air autour et je la ressens plus douce ou plus aiguisée, dans tous les cas au sein d’une grande douceur.

Je pratique ça à fond depuis dix jours, et je vois mon corps se mettre à évoluer dans un monde où se mélangent les occupations de tous les jours et la douceur immense couplée à la solidité de ne plus chercher la sécurité. Je ne sais comment le décrire si ce n’est par un grand espace blanc traversé d’éclairs colorés bien définis au sein de cet espace. Ils ne l’envahissent pas, ils le traversent avec douceur.

Je réalise alors que quand j’ose m’arrêter et soulever le voile, au sein du vide, quand je m’abstiens, c’est comme un rush de vie qui envahi mon espace intérieur. Ce rush m’a fait peur longtemps. Chaque fois que j’accepte de m’abstenir, en conscience de ce choix et de ses raisons, un petit bout de la peur se détache de moi. En réalité ce n’est pas le vide qui est insupportable dans ces moments de pause, c’est l’intensité de ce qui pourrait surgir au sein de ce vide. C’est l’intensité d’être vivante. C’est si effrayant d’être vivante. Car nous avons l’intuition de l’impossibilité du moindre contrôle de cette vitalité en nous et à l’extérieur de nous.

Accepter les bas, accueillir les pauses, le vide, c’est m’abandonner au non-contrôle.

Quelque soit notre niveau « d’éveil » (si tant est que cela signifie quelque chose), nous savons qu’à chaque seconde nous pouvons mourir, perdre un bras, perdre un être cher, tout perdre. A chaque micro-seconde notre existence peut tomber en lambeaux. C’est pour cela qu’il est si dur de rester avec ce qui est.
Accepter de Vivre c’est accepter de sauter dans le vide à chaque pas.

Et le grand paradoxe de cette existence mystérieuse est qu’à la seconde où j’accepte ce fait, une profonde sécurité s’installe en moi. Non parce que je contrôle tout ce qui pourrait aller de travers. Mais parce que je sais que quoi qu’il arrive il y a désormais un socle inébranlable en moi qui ne dépend d’aucune circonstance extérieure. Un socle solide et détendu, tranquille avec les « bons » et les « mauvais » côtés de l’existence. Ce socle c’est ma capacité à rester avec ce qui est, sans retenir un instant de bien-être ni fuir un instant d’inconfort, consciente que l’un et l’autre passeront, quelque soit leur intensité. Simplement.

Je réalise alors qu’en étant très proche de moi dans les instants de vide, une nouvelle relation à moi et à toute chose s’installe. Alors, tous les beaux instants qui remplissent mon quotidien en sont revitalisés. Ils passent de « plaisants » à « délectables ». Chaque seconde devient un délice ultime. Le « plein » et le « vide » se confondent, s’interpénètrent. Je ne me sens plus vide lorsque je suis seule. Je ne me sens pas remplie lorsque je suis accompagnée ou occupée. A l’intérieur de chaque instant il y a désormais du plein et du vide. Et les deux sont délicieux.

Car… « derrière tout cela il y a quelque chose de très doux et de très tendre. »*

Alors j’accueille l’inconfort, je reconnais qu’il est nourri par une pensée irréelle puis je m’abandonne au vide qui laisse la place à la tendresse indicible de chaque instant.

*Citations de Pema Chödrön dans "Conseils d'une amie pour des temps difficiles"

 


 
 
 

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