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Le robinet et le sens de la vie

melisarachelle

Mon métier est d’accompagner des personnes vers elles-mêmes. Pour atteindre ce qui se vit réellement à l’intérieur, il faut presque toujours prendre le temps de traverser les idées. C’est particulièrement vrai pour les personnes investies de ce que B. Lamboy appelle dans son merveilleux ouvrage Devenir qui je suis, « la culture psy ». Toutes ces idées qui pourraient constituer la bible du développement personnel et de la spiritualité au XXIe siècle. Je vais tenter une courte compilation de celles que j’entends le plus.

« Je dois aimer inconditionnellement (donc je reste avec un partenaire qui ne me fait pas me sentir aimée). »

« Je dois lâcher-prise et ne pas réagir (même quand je me sens humiliée quotidiennement par mon patron). »

« Je dois faire taire mon égo (quitte à mépriser mes besoins de reconnaissance, d’accomplissement, voire d’intégrité). »

« Comprendre d’où vient ma souffrance va me libérer (pourtant y’a un moment que j’ai compris et je souffre toujours autant). »

« La colère c’est mal (cachons-la sous une épaisse couche d’éducation « positive » et de CNV mal comprise). »

Et celle qui concentre d’après moi le plus de malentendus :

« Il faut vivre l’instant présent (donc surtout sourire en toute circonstance… non non je ne suis pas frustrée que tout le monde me raconte ses vacances incroyables au bout du monde alors que moi j’ai pas bougé de chez moi et j’ai fait que bosser! En plus, y'en a qui n'ont même pas à manger donc je vais quand même pas me plaindre... on sourit, on sourit, vive l’instant présent !) »

Je respecte chacune de ces idées, et surtout chaque personne qui a le courage de chercher et de trouver sur quoi s’appuyer pour avancer, grandir, guérir, évoluer. L’ACP, et la somme incommensurable de mes propres errances, m’a enseigné un profond respect pour chaque tentative de l’humain de trouver sa voie dans les méandres des émotions qui le dépassent. Tout en honorant cela, j’aimerais partager avec vous mon expérience.

J’ai vécu plusieurs fois ce que je peux appeler des chutes vertigineuses dans l’Amour. Je vais vous en raconter une. J’avais 28 ou 29 ans. J’étais enseignante et je me sentais en échec dans ce métier. Ma vie amoureuse n’était qu’une longue suite de déceptions amères. J’étais surendettée. Je vivais dans le 30m² de ma mère avec ma fille de 7 ans. Je me sentais la pire mère du monde et j’étais en conflit sans arrêt avec ma famille, mes amies, le père de ma fille, mes responsables hiérarchiques, mes collègues. J’étais tellement mal à tous les endroits de ma vie que tout me donnait le sentiment d’une humiliation intense et je sur-réagissais à la moindre parole, au moindre regard déplaisant.

Puis un soir j’ai pris un bain.

 

Là dans mon bain, j’ai laissé le poids de toutes mes années de difficultés financières, amoureuses, familiales, de solitude s’abattre sur moi. J’ai laissé l’épuisement de l’accumulation de toutes les frustrations être là. Ce n’était pas une décision. Je n’avais simplement plus la force de lutter. Alors une pensée m’est venue : « et si ça ne changeait jamais ? Si je passais toute ma vie à compter chaque euro et  à chercher l’âme sœur sans jamais le trouver ? »  Tout à coup, il m’a semblé beaucoup moins couteux d’accepter cette possibilité que d’espérer que les choses changent. Je n’avais plus l’énergie nécessaire à l’espoir. Alors, au lieu de vouloir si fort le changement ou de m’asséner continuellement que j’étais nulle et que je n’arrivais vraiment à rien, j’ai juste arrêté l’un et l’autre. Sans décision, juste parce que je n’avais plus la force de rien, mon mental s’est arrêté. L’épuisement m’a privée d’un seul coup de l’énergie de croire au changement et de l’énergie de maintenir  mon cycle mental  négatif.  J’ai pris conscience de toute l’énergie qu’il faut pour « rester positive » mais aussi pour rester négative !  Les deux pôles se nourrissent à la même source : la négation du présent. Quand le mental m’emporte ailleurs que dans ce qui est, que ce soit des projections apocalyptiques ou des espoirs lumineux, ça me coûte beaucoup.

Ce soir-là dans mon bain, mes pensées n’ont plus trouvé où se nourrir. Alors je me suis retrouvée là, sans plus aucune histoire à me raconter sur moi, les évènements et la vie. Sans histoires, il n’y avait plus que moi, là, dans la baignoire de ma mère. Juste moi, mon souffle, l’eau, la baignoire. Mon regard s’est posé sur le robinet, entre mes pieds. M’est alors apparu cette évidence : tout ce que je crois, tout ce que mon mental déverse d’idées et de croyances en moi, qu’elles soient « positives » ou « négatives », c’est comme ce robinet qui déverse de l’eau dans la baignoire. L’eau n’est pas la baignoire. Ce que je crois n’est pas la vie. La vie est neutre, comme la blancheur de la surface lisse du métal. Le sens est toujours inventé, toujours créé. Les évènements sont neutres. Le sens, c’est l’eau qui se déverse puis qui se vide.

Alors, sans plus aucune histoire à propos de moi, de la vie, sans plus aucun sens d’échec ou de réussite, je suis sortie du bain, je me suis séchée, j’ai mis mon pyjama et je suis allé me coucher pour m’endormir pleine du vide neutre de l’existence, pleine d'une immense quiétude.

Quand il n’y plus d’histoire sur la vie, sa nature se révèle. Quand j’arrête de vouloir absolument lui donner un sens, elle s’offre. Alors je vois : elle est amour. Tout le temps. Partout. Pour la totalité de tout ce qui est. C’est tout. Il n’y a rien à raconter et rien à croire. Quand je ne crois plus rien, tout à coup je sais. Je sais que rien n’est vrai. Et tout peut l’être pour moi si je le décide. Et ce que je décide n’a aucune importance au regard de la vie, qui déverse continuellement son flot d’amour sur moi, quoi que je fasse.

Alors j’aimerais vous confier ceci : m'abandonner à mon désespoir a été la plus belle chose qui me soit arrivé. L’exemple de la baignoire n’est qu’un parmi beaucoup d’autres. La dépression, si vous la laissez faire, anéantira votre système de valeurs illusoires. Vous chuterez et vous tomberez sur un sol infiniment plus solide et souple que vos anciennes croyances et pensées positives, moins couteux, plus soutenant, heureux, facile, où vous n’aurez plus à lutter. 

 

On peut aussi le dire à la Jim Carrey : « La dépression, c’est ton corps qui te dit « va te faire foutre, je ne veux plus être ce personnage. Je ne veux plus maintenir cet avatar que tu as créé pour le monde. C’est trop pour moi. »

 

A mon sens, si la psychologie classique se laissait toucher par la Conscience, elle enseignerait que la dépression est le système de guérison le plus puissant de notre organisme. Lutter contre elle c'est perdre une occasion unique de laisser se dissoudre toutes les croyances qui soutiennent notre moi construit sur notre éducation et nos blessures. C'est perdre l'occasion de nous dissoudre en l'amour. Lorsque j'ai cessé d'espérer, lorsque plus aucune de mes croyances n'a fonctionné, la Conscience a pris le relai. La Conscience, c’est l’Amour. L’Amour, c’est la Conscience.

Dans les mots de Christiane Singer, qui résonnent profondément avec mon expérience: « L’Amour n’est pas un sentiment, c’est la substance même de la création ».

Nos idées sur l’Amour inconditionnel, la Présence, le lâcher-prise, le plus souvent, au lieu de nous mener vers elles nous en éloigne, car elles nourrissent notre mental. Si nous nous y accrochons, l’essence de ces vérités nous échappe. Si nous les abandonnons en tant qu’idées, si nous n’y croyons plus, alors notre regard redevient innocent, alors l’Amour, la Présence et le lâcher-prise s’offrent soudainement à nous dans toute leur profondeur et leur simplissime complexité.

Lorsque vous vous sentez triste, abattue, désespérée, ouvrez votre cœur à vos émotions. Autorisez-vous à les ressentir pleinement. Lorsque vous êtes en colère, l’instant présent c’est que vous êtes en colère, accueillez-le. Mettez de côtés tout ce que vous croyez. Écartez les "je devrais aimer inconditionnellement et ne pas être jalouse", "je devrais lâcher-prise et être heureuse de ce que j'ai", "je devrais être reconnaissante", "je devrais vivre l'instant présent" [notez la contradiction inhérente à cette formule : « je devrais » signifie déjà que je rejette ce qui est, le présent !]. Oubliez totalement cela le temps d'être pleinement et inconditionnellement avec ce qui est vivant en vous à cet instant. TOUT ce qui est: la peur, l'angoisse, la terreur, la haine. Formulez-les clairement. Dites-vous : « cette vie c’est vraiment de la merde. Je ne vaux rien du tout. Je vais finir seule. », puis observez votre corps le ressentir pleinement. Laissez ces vérités momentanées vous envahir sous le regard témoin de votre conscience aimante. Imaginez les actes qu'ils vous feraient poser et jouissez-en, en imagination, sans vergogne, toujours sous les yeux du regard témoin. Une partie s'abandonne totalement, une autre observe, sans rien croire, juste en étant là. Alors vous sentez tout à coup votre cœur s'inonder de compassion pour ces parts de vous qui haïssent, cherchent à se venger, paniquent, sont égoïstes, froides, anéanties ou tout cela à la fois. Si vous pouvez les aimer aussi, alors vous vivrez l'amour inconditionnel. Et alors vous les verrez se transformer sous votre regard ébahi. Vous verrez et entendrez comme une résonnance puissante au fond de votre cœur vous intimant que ces parts ne sont qu'un autre visage de l'Amour. Vous saurez ce qu'elles recèlent de l'essence de votre vie, de la vie. Vous n'aurez plus besoin de croire. Vous saurez qu’une affirmation positive n’est pas plus aidante qu’une phrase dégradante si elle n’émane pas de la réalité de ce qui se vit en vous à cet instant. Vous saurez que ce qui vous paraît la plus grande évidence à un instant ne fonctionne plus l'instant d'après. Vous saurez que l'Amour, la Source, la Vie, la Grande Déesse, n'a aucune opinion, qu'il n'existe pas de "juste" ou "d'injuste" dans l'absolu car tout ce qui est, le plus beau et le plus laid à nos yeux limités d'humains, est infiniment aimé d’Elle à chaque instant. La vie n'est qu'amour, elle ne peut être autre chose. Elle accueille en son sein aimant les altruistes et les égoïstes, les adeptes du dépouillement et les plus grands matérialistes, les militants féministes et les violeurs.

Pour autant, elle ne nous demande pas de vivre avec des personnes dont les comportements nous font souffrir, sous prétexte de les "aimer inconditionnellement". Elles ne nous demandent pas de nous protéger d’elles non plus d'ailleurs. Elle nous laisse irrémédiablement, merveilleusement, désespérément libres. Elle nous aime de la même manière quoi que nous fassions. La seule chose que nos choix changent c'est avec quel degré d'aisance nous vivons nos journées.

Alors, au lieu de vous demander ce qui est « juste » comme s'il existait un espace dont le seul but est de juger et qui contiendrait toutes les lois du développement personnel et de la spiritualité d'aujourd'hui, plongez en vous, ressentez totalement, amusez-vous des stratégies intérieures qui cherchent à avoir raison, se défendre, ou écraser l’autre. Elles sont vous aussi, cajolez-les puis agissez à partir de la Conscience qui n'a pas de jugement et vous permet seulement de sentir vos préférences. Lorsque vous vous demandez "qu'est-ce qui est juste", vous déportez la réponse en dehors de vous (même si vous croyez interroger un espace en vous !). Demandez-vous plutôt "de quoi j'ai envie ?", "qu'est-ce qui me donne le plus de joie ?" Écoutez la réponse de votre corps. Puis expérimentez.   



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